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Du gaz moutarde et de l’arsenic, envoyés par le fond, pour le plus grand bonheur des poissons. C’est en tout cas ce qu’affirme l’enquête publiée il y a quelques jours par nos confrères du site actu.fr.

L’armée américaine se serait délestée de munitions chimiques composées de gaz moutarde ou d’arsenic, en face du littoral varois, à quelques encablures de Saint-Raphaël.

Calme plat

Du côté des autorités françaises, les détails de cette problématique, tout comme le lieu exact où la quantité des armes stockées sous l'eau, semblent être portés disparus.

Ni la mairie de Saint-Raphaël, ni la préfecture maritime de la Méditerranée, que nous avons contactées à plusieurs reprises, n'ont jamais entendu parler de cette histoire. Tous ont fait part de leur immense surprise quant à l'existence de ces décharges sous-marines.

Idem pour les clubs de plongée de la baie raphaëloise. L'un d'entre ne cache pas son étonnement quant à la supposée présence de tels armes au large de Saint-Raphaël.

Pour Cédric Marmolle, ancien marin-pompier de Paris pendant près de 20 ans, et gérant d'un des clubs de plongée historique de la baie, le "spot" est connu pour une toute autre raison :

Il y a beaucoup d'épaves, mais toutes ne sont pas accessibles, c'est trop profond, et on n'a pas assez de visibilité pour y aller, mais sinon, on n'est pas au courant de ce type d'enfouissements"

concède Cédric Marmolle.

"Le club que l'on a, cela fait 50 ans qu'il est actif, on n'en n'a jamais entendu parlé avec les anciens qui nous ont pourtant tout expliqué sur le coin." poursuit-il.

Les autorités diplomatiques américaines à Paris n'ont pas donné plus d'informations sur ce dossier malgré nos nombreuses sollicitations. L'ambassade américaine, par l'intermédiaire de son porte-parole, n'a pas souhaité faire de commentaires officiels.

Une arme secrète

S'il est difficile de savoir avec exactitude les contours de ces mises par le fond de munitions au gaz moutarde par l'US Navy, certaines archives livrent quelques indices.

Le Commandement de l'histoire et du patrimoine navals révèle un épisode de l'offensive sur l'Italie, en 1943, dans la région de Bari. 

Un document relate le tabou de l'époque autour de cette arme chimique à utiliser sur le champ de bataille : "le navire américain Liberty SS John Harvey a été touché par une bombe et a explosé, tuant les 36 membres d'équipage, dix soldats américains et 20 gardes armés de la marine américaine à bord. Pire, John Harvey transportait une cargaison secrète de 2 000 bombes à gaz moutarde M47A1 (à utiliser en représailles au cas où les Allemands recourraient à l'utilisation d'armes chimiques). Un agent soufré liquide mélangé au mazout recouvrant la surface du port et un nuage de moutarde au soufre a été soufflé sur la ville de 250.000 civils."

Mauvaise habitude

La neutralisation de ces armes désormais interdites – mais "autorisées" en 1946 – reste encore aujourd’hui, un problème de taille pour la première armée de la planète. Après le second conflit mondial, l’Oncle Sam se retrouve avec plus de 36.000 tonnes d’armes chimiques en état de marche.

Au large de Pearl Harbour, dès la fin du conflit, l’US Navy jette dans les eaux de l’archipel hawaïen, 16.000 munitions qu'ils souhaitent neutraliser.

Le projet HUMMA a été créé avec les autorités fédérales américaines pour évaluer le nombre et la dangerosité de ces dépôts. Ce projet de suivi scientifique et d'étude d'impact est encadré par l'université d'Hawaï, et subventionné par le département de la Défense, le fameux DoD. Ce programme a un but avoué : localiser les munitions militaires mises au rebut, y compris les armes chimiques.

Plus près de chez nous, l'enquête du pure player Actu.fr révèle que la Convention du milieu marin Ospar a recensé 62 de ces décharges sous-marines au large des côtes françaises.

C'est également en mer Baltique que des dépôts similaires ont été constatés et étudiés par des chercheurs scandinaves, provenant toujours des stocks américains d'armes chimiques.

France 3 Hauts-de-France publiait en 2019, un article concernant des dépôts en mer du Nord, à Knokke-Heist en Belgique.

Un impact déjà constaté sur l'écosystème marin

L'impact microbiologique du gaz moutarde sur les sédiments marins a clairement été établi. En 2009, une étude scandinave pointait déjà les réponses microbiennes au gaz moutarde, provenant de dépôts sauvages de l'US Navy après la Seconde Guerre mondiale.

L'effet des produits d'hydrolyse du gaz moutarde (MGHP) sur le microbiote marin et la capacité des micro-organismes à le dégrader ont été étudiés.

Ce texte sur les réponses microbiennes au gaz moutarde déversé en mer Baltique prouve bien que la faune et la flore ont pu être en contact avec cette substance : "de nombreuses stations sur les sites de décharge ont démontré une réduction de la diversité microbienne et une croissance accrue des espèces capables d'utiliser les produits d'hydrolyse du gaz moutarde comme seule source de carbone. Des quantités importantes de bactéries dégradant le MGHP ont été révélées dans les eaux proches du fond."

L'étude révèle aussi que certaines espèces de poissons chérissent les cartouches de munitions comme abri. Les congres, ou anguilles de mer, ont particulièrement su se faufiler dans les obus à la faveur de leur érosion. 

La bibliothèque nationale de médecine américaine propose même une étude parue en 2015 qui relaie les risques environnementaux de ce type de dépôts, et les risques pour la santé humaine car le gaz moutarde, au contact de l'eau, ne se dissout pas.

Cette dernière élargit même le spectre des nations pollueuses, ce type de dépôts de l'après-guerre étant monnaie courante, tant pour les nations européennes que pour le Japon ou la Russie. Les mers baltiques et du nord semblent avoir été particulièrement impactées. Mortiers, obus et bombes contenant du gaz moutarde y ont été déversés.

La faute à la VIe Flotte?

La présence de l'US Navy dans la région raphaëloise est connue. L'opération Dragoon - le débarquement en Provence d'août 1944 - a largement été rendue possible par les moyens maritimes de l'US Navy qui étaient présents en force en Méditerranée à cette époque.

Depuis le débarquement en Afrique du Nord en 1942 des troupes américaines, cette mer fermée était devenue un théâtre d'opérations pour les navires de la flotte des Etats-Unis.

Le débarquement en Crête et en Sicile ont assis leur présence au sein de Mare Nostrum, emportant avec eux équipements, soldats et munitions par dizaines de milliers.

Les mouvements de la Navy ont été très nombreux au large de la Côte d'Azur, certains navires amiraux trouvant notamment refuge dans la rade de Villefranche-sur-Mer. En 2017, une ancre avait ainsi été mise au jour.

Nombre de ces navires ont ensuite été utilisés pour constituer la VIe flotte américaine, dès 1948. Le quartier général de cette armada aéronavale est dorénavant basé à Naples, en Italie.

Une dangerosité clairement identifiée

Conscient de cette problématique, et des conséquences environnementales, le Congrès américain interdit ce type de pratique en 1972 en adoptant la MPRSA - un texte de loi plus connu sous le nom de l'Ocean Dumping Act, soit la loi sur le déversement de déchets en mer.

Le CDC, le centre pour le contrôle et la prévention des maladies, a lui bien conscience du danger que représente le gaz moutarde, il détaille son histoire au sein des forces armées américaines, qui, en l'espace de 30 ans, ont détruit plus de 27.000 tonnes d'armes chimiques de ce type.

En 2016, l'armée américaine a même dédié entièrement un site robotisé, une usine dans le Colorado, pour désarmer jusqu'à 500 munitions par jour. 

Les mers européennes devront, elles, attendre. Aucun financement ou programme de traitement de ces déchets n'a pour l'heure été créé.

Source de l'article : https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/var/frejus-et-saint-raphael/gaz-moutarde-arsenic-quand-l-us-navy-immergeait-des-armes-chimiques-au-large-de-saint-raphael-2554744.html
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